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neufmois

4 juillet 2005

18 octobre 2005

Samedi soir devant le Queen. Minuit a passé depuis un bon bout de temps, donc en fait nous sommes dimanche matin. On s’était présenté une première fois avec les filles mais ils nous ont refoulé c’était une soirée pédé. Dépités de s’être faits jeter de partout, et après s’être débarrassés des filles, notamment de cette insupportable copine de copine que j’aurais eu envie de massacrer, mon meilleur ami me propose de retenter notre chance, seuls cette fois. L’affreuse physio nous dévisage, me toise de son air de dominicain durant l’Inquisition espagnole, et nous entrons. Vingt euros chacun au guichet plus tard, c’est la fouille. Un beau brun baraqué parcourt mon corps de ses grosses mains comme j’aime, jette un coup d’œil dans ma petite besace, marque un court arrêt en me demandant le contenu d’un sachet qui est en fait une amulette magique, puis après un sourire nous passons. Les spots multicolores créent une sorte de brume. Je m’arrête au vestiaire, y laisse ma veste, ma besace et cinq euros supplémentaires. Puis affublé de ma tenue moulante je descend l’escalier.

Je ne me souviens que d’une sensation, celle de crouler sous le poids de tous ces mecs qui me semblaient s’entasser jusqu’au plafond. Ce qui n’a pas été sans susciter chez moi un premier élan instinctif de panique. Avec mon ami nous sommes descendus pour rejoindre le dance-floor en fendant la marée de corps.

Je danse je danse ou plutôt je cherche à donner l’illusion que je danse sur un bruit qui tourne en boucle. Pour moi la house, cela s’adresse soit à des gens qui savent vraiment très bien danser et sont particulièrement endurants, soit à des gens qui se bornent comme moi en ce moment à sautiller. Aucune sensualité donc. Je poursuis cet effort un petit moment, en essayant de me convaincre que je suis à ma place, c’est vrai quoi j’adore danser et je suis gay comme tous ces mecs alors ?... J’essaie difficilement vu les décibels de communiquer avec mon pote. Mais celui-ci est ailleurs. Je me concentre sur les jeunes mecs qui sont montés sur le podium. Ils sont jeunes, leurs corps souples et hâlés, l’un d’eux exhibe un téton piercé et des bretelles. Ils sont trois ou quatre comme ça, torse nu, dominant une marée de testostérone et de sueur.

Bientôt après que je lui ai à nouveau crié quelque chose dans l’oreille, il me demande ni plus ni moins que de lui foutre la paix : un beau brun l’a finalement repéré après plusieurs échanges de regards et il voudrait qu’une approche plus concrète se réalise. En gros David, ferme ta gueule, danse dans ton coin, je suis là pour draguer bordel, on va croire que t’es mon mec. Je sais que j’étais hétéro avant, en tout cas c’est ce que j’ai réussi à te faire croire pendant deux ans, mais là c’est fini, je me rétracte, de toute façon c’est toi qui te voilais la face tu sais bien que j’hésite depuis un long moment déjà, et puis ce soir c’est mon soir, tant pis si ton histoire avec Xavier s’est mal finie et que tu souffres. Ce soir tous tes repères vont voler en éclat, et le Jean-Charles que tu vas voir ce sera le nouveau, le bon, l’unique. Tu me vois, là, en train d’embrasser ce canon ? Dis-le que tu m’envies, que tu voudrais être à ma place. Déjà ton visage déjà peu lumineux en ce moment s’est refermé. J’y ai été vraiment très fort, je suis très fier de moi, pas pour ta souffrance , mais pour ma conquête. Alex, le beau brun, me dit que j’embrasse bien. Moi qui suis novice. Quoi ? Tu me fais signe que tu t’en vas, que t’en peux plus ? Mais tu rigoles on vient d’arriver… On dirait qu’il en peut plus. Bon je dois me résoudre à laisser ce canon une minute ou deux en espérant que personne ne me le pique. David a l’air bouleversé de ce qu’il vient de voir. Les larmes aux yeux il me dit qu’il en a assez vu ce soir et qu’il préfère rentrer. T’es sûr ? Tout à fait sûr. Bon… Tu veux que je t’accompagne (pitié mon Dieu, faites en sorte qu’il dise : « Non bien sûr, toi tu t’amuses, profite de ta soirée c’est moi qui déprime ça finira bien par passer ») ? Bon… Alors désolé… Si tu veux après je te rejoins chez toi ? Non ? Bon… Alors rentre bien… Moi, je vais retrouver mon brun ténébreux. Ce soir, c’est mon soir.

L’air frais de la nuit d’automne calme un peu ma suffocation. Marcher, marcher, le plus rapidement possible. M’éloigner au plus vite de cet endroit où je pressens que quelque chose de terrible vient d’arriver. Le genre évènement historique personnel. Le choc se mêle au dégoût et à la haine. Au bout de mes doigts une sensation bizarre, une sorte de convulsion les engourdit. C’est dans ces moments-là qu’on se sent pousser des ailes, on pourrait faire des kilomètres sans s’épuiser. Ainsi j’arrive quelques minutes plus tard chez moi, gravis les cent dix marches de l’escalier, tourne la clé dans la serrure, puis une autre, puis une autre, je ferme la porte et puis je reste là, hagard face à mon lit, les larmes commençant à couler le long de mes joues. Pourquoi ai-je réagi comme ça ? Il a le droit de vivre sa vie après tout, je devrais être heureux pour lui. Suis-je amoureux de lui ? Alors pourquoi cette espèce de jalousie ? Je pressens que l’équilibre des forces s’est inversé. Maintenant je ne serai plus le chien de tête, ce sera lui, mais le connaissant il ne cherchera pas à tracer la route pour deux. C’est à lui seul que profitera le changement intervenu en lui. M’endormir, dormir, dormir encore, et ne plus jamais me réveiller. Finalement je laisse mon portable allumé pour qu’il me rappelle après la boîte. Je ne veux pas rester seul même si au fond je le déteste d’avoir fait ce qu’il a fait. Il dormira chez moi, son bonheur éclaboussant les murs et rongeant mon cœur.

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